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Meilleur Ouvrier de France

En cette année de concours du meilleur ouvrier de France cuisine, je mets en ligne cet article pour tenter de répondre aux questions de certains  élèves. Témoignage de  Pierre Caillet, jeune restaurateur, installé à Valmont (76) ; le bec cauchois- restaurant étoilé ; et Meilleur Ouvrier de France 2011. 

Vous trouverez également les sujets 2018 proposés aux candidats.

« DEVENIR MOF puis l’être »

Le titre de Meilleur Ouvrier de France pour un artisan, quel que soit le domaine, c’est un peu comme gagner les jeux olympiques pour un sportif ; il n’y a pas mieux. Toute sa vie, on garde ce titre. Plus qu’une fierté, un honneur dont il faut pouvoir se montrer digne.

COURRIER CAUCHOIS : Pierre Caillet, quand vous étiez jeune, la cuisine, a tout de suite été une évidence ou ce fut un concours de circonstances ?
Pierre Caillet : En fait, la cuisine était un deuxième choix. Dans la famille, on était menuisier de père en fils. J’étais attiré par l’ébénisterie. Je voulais faire de la marqueterie. Très tôt, j’ai été intéressé par les choses bien faites. Mais quand je suis arrivé en troisième, je me suis aperçu que c’était plus compliqué. Ce qui me parlait, c’était le bois, les fibres, une matière vivante, avec des textures, des odeurs, une matière qui vit. Et les professionnels de la menuiserie que je rencontrais me parlaient d’alu, de PVC. Du coup, j’ai recherché autre chose avec le même état d’esprit. Maman cuisinait tous les jours pour neuf( il a six frères et sœurs, dont un jumeau). Tous les étés c’était conserves et confitures. La cuisine, donc, je suis rentré dedans sans m’en rendre compte.
C.C : On était encore loin du Meilleur Ouvrier de France ? Comment on en arrive là ?
P.C : J’avais 13 ans. Une fois décidé, j’ai cherché un lycée de bon niveau. L’école hôtelière du Touquet était réputée, en plus elle me permettait de m’éloigner de chez moi (Gisors). J’ai été accepté. J’ai fait CAP, BEP, BTN, BTS option B arts culinaires. Quand je suis entré, à 13 ans, étant l’ainé, mon père m’a dit : « Si tu rentres là, c’est pour aller jusqu’au bout » j’étais prévenu. Et je n’avais pas le choix ; mes parents s’étaient saignés pour moi. Ça coute cher entre les couteaux, le matériel, les vestes et uniformes, les frais de scolarité, le logement. Je savais que le seul moyen d’y arriver, c’était de travailler.
C.C : Et vous avez travaillé. C’était la bonne voie ?
P.C : Oui et non. J’avais un an d’avance. Aussi, après le BEP, à 15 ans, je ne me voyais pas aller travailler. L’école, c’était rassurant alors pourquoi en sortir ? Surtout, j’avais beaucoup de mal à me projeter. On se plaint aujourd’hui, mais il y a quinze ans, la restauration, ce n’était pas les mêmes conditions. J’ai rencontré ma femme à l’école (originaire de Tourville-les-Ifs) et elle voulait enseigner. J’en étais à me demander si je ne voulais pas un peu la même chose. En même temps, MOF, les étoiles, ça faisait rêver. Mais je ne me posais pas beaucoup de questions.
C.C : Finalement, après l’école, vous avez trouvé des réponses à ces questions ?
P.C : Attention, je ne dis pas que je ne voulais pas travailler. Je travaillais le week-end, les saisons. Et par la suite, j’ai travaillé en région parisienne, en Savoie, dans le Jura, au Maroc, en Allemagne, dans le Roussillon et en Irlande, avant d’arriver à Valmont. Dans des petites maisons, toujours. C’était mon choix, parce que l’on peut toucher à tout, et c’est très formateur.
C.C : Mais le déclic, alors, il est où ?
P.C : ça s’est fait petit à petit et sans jamais être sûr de rien. C’est en rentrant à l’école que j’ai découvert es grands chefs, le Guide Michelin, et je me disais « ça doit pas être mal d’être dedans ». puis au cours de mes examens, dans le jury, il y avait Roger Portugal, Meilleur Ouvrier de France dans la même session que Paul Bocuse. Il était là à chaque fois. Quand vous le rencontrez à 14 ans, c’est comme si vous aviez le Pape de la cuisine ! Et, j’avais cette impression que ça donnait encore plus de valeur à mon diplôme. En le regardant, je pensais « un jour, je le ferai, moi aussi », tout en étant persuadé de ne pas y arriver. Mais j’étais perfectionniste et je voulais toujours monter. J’ai évolué, fait mes gammes, et en 2003-2004, j’étais le second de Romuald Fassenet. Lui, s’était inscrit au concours de MOF. Je me suis investi à son côté et je me suis alors dit que si lui en était capable, pourquoi pas moi. Il n’était pas si différent de moi ! J’ai commencé à faire des concours et je me suis classé, j’ai gagné. (comme en Irlande, où l’on m’a offert un voyage en France !)
C.C : A ce moment là, vous n’étiez toujours pas propriétaire de votre restaurant ?
P.C : C’est en 2007 que je me suis installé. Mais j’ai continué les concours. Et, en 2009, alors que je me préparais pour la Toque d’Or internationale, je suis tombé sur un article dans une revue concernant les inscriptions au concours de MOF. Ma femme m’a incité à m’inscrire. J’ai appelé mon prof d’école hôtelière, il m’a répondu : « Vas-y, fonce ! ». et il a raccroché. J’ai posté ma lettre et à peine posté, je me suis dit que j’étais dingue. Je ne pouvais pas faire machine arrière. J’ai songé : si je gagne la Toque j’y vais, sinon, je renonce. Et j’ai gagné…
C.C : Et le parcours du combattant a commencé. Ça ressemble à quoi un concours de MOF ?
Il y a les épreuves écrites (sujet 2014 ),  (sujet 2018),  des sélections pratiques, la demi finale (sujet 2018). A l’issue, j’étais persuadé que ça ne passerait pas, au point que je me suis inscrit à d’autre concours. J’avais un mois à attendre. Mon chef m’a alors appelé, il s’est renseigné, et le lendemain, il me demandait ce que je faisais en mai, m’apprenant que j’étais en finale ! Une première participation à 30 ans et en finale parmi 36 sur les 700 inscrits… Pour la finale, on avait les sujets quinze jours avant. Sur le papier, il a l’essentiel, les bases, les techniques imposées, les produits. On se base sur les classiques, mais il y a tout ce qui n’est pas écrit, qui fait appel à l’expérience du cuisinier. Le jour de l’épreuve, on a cinq heures pour sortir tous les plats.
« JE PARTAIS EN GUERRE !!!!! «
C.C : Ces quinze jours de préparation, ils ressemblent à quoi ?
P.C : Durant deux semaines, entre la préparation et le restaurant, je dormais une demi-heure par nuit. Le jour J, je suis arrivé sur les nerfs, j’avais perdu 7 kg. Ce qu’il faut savoir, c’est que chaque recette cache des problèmes à résoudre, qu’on découvre au fur et à mesure. Par exemple, il y avait un soufflé chaud, 15 cm de diamètre. De cette taille, le seule moule à savarin existant est en fer blanc, qui s’oxyde avec la chaleur. Si on ne sait pas ça et qu’on ne résout pas la question de l’oxydation, c’est mort ! Dans la recette, il y a avait aussi un écrasé de chou-fleur de 6cm de diamètre, en dessus un œuf de cette taille. Comment trouver un œuf de cette taille ?? J’ai mobilisé tous les producteurs du coin. Et je n’avais jamais fait d’œuf frit. J’ai dû en faire 500 ou 600 en quinze jours, ils en ont mangé ici ! Quand tu arrives, il n’y pas de place pour l’à peu près.
C.C : Le jour du concours, vous étiez comment ?
P.C : Je partais en guerre !! Très stressé à l’attente, et après c’est simple, je n’ai rien vu. J’étais dans ma bulle. La préparation, c’est capital. Si on a tout approfondi, on peut réagir, interagir quand un problème se pose. Sinon, c’est fini. De toute façon, on a pas le temps. Et puis, il y a la tête. On parle de mon caractère, mais ce caractère là, c’est 30% du concours. Si la tête lâche, les mains lâchent. Pour résumer en 5 heures, c’est comme si on jouait sa vie. En outre, la nouveauté 2011, c’était un plat surprise, un dessert.
C.C : Et après, on est comment, dans l’attente ?
P.C : Les épreuves s’étaient sur deux jours. Convoqué le premier à 5h30, passé à 9 heures, après il faut attendre. Les résultats ont été prononcé par le président Alain Ducasse, appelant les 10 lauréats par ordre alphabétique. Je n’ai pas compris le premier nom, et j’ai cru qu’on avait déjà passé le C. Je n’y croyais pas vraiment, la première année qu’on le tente, il y a peu de chances. Puis j’entends le deuxième nom, et là , non, je réalise qu’on n’en est pas encore à moi. Et le suivant, c’est moi.
C.C : On réalise dans l’instant ou c’est irréel ?
P.C : Quand on vous appelle, vous montez un escalier, le plus dur de ma vie, avec une haie d’honneur de Meilleurs Ouvriers de France, et en haut Alain Ducasse, avec la médaille. On ne comprend pas ce qui arrive. On se demande « comment ça se fait que c’est moi ? ». Durant tout ce temps j’ai pleuré comme une madeleine.
C.C : Et quand commence t’on à réaliser ?
P.C : Après, c’est la plus belle chose qui puisse arriver à un artisan, d’être reconnu par son métier. Mais très vite, on réalise qu’il faut en être digne. A partir de là, on va être regardé comme on a regardé les autres. On porte un symbole d’excellence, de transmission du savoir, des valeurs.
C.C : On dit que les étoiles sont une pression permanente, là c’est encore autre chose ?
P.C : Je suis à mon compte. Dès la fin du concours, je suis rentré pour le service du jour dans mon restaurant. Je n’ai pas eu le temps de m’interroger. Quand on est en cuisine, les gens attendent beaucoup plus de nous, on ne peut pas être moyen. On devient MOF et après il faut l’être. Mais je n’y pense pas tous les jours en me levant. En revanche, j’en suis extrêmement fier. Sur les dix lauréats 2011, j’étais le seul à mon compte, dans un petit village de campagne. Quand on est dans un grand établissement et qu’on se présente, si on est dans une brigade, on s’organise autour de nous pour nous mettre dans les meilleures conditions de préparation, on nous libère du temps. Moi je n’avais pas le choix. J’assurais dans mon restaurant et je bossais le concours la nuit, dès que je pouvais. Une choses est sûre, c’est que tout seul, c’est impossible. Tout le monde m’a aidé, des copains sont venus bosser ici, les fournisseurs ont fait tout ce qu’ils pouvaient pour me trouver les produits idéaux, et ma femme a assuré. Pour tout cela je suis fier.
C. C Qu’est-ce qu’il reste alors maintenant ?
P.C : Il reste ce que l’on disait, un carrière pour en être digne, transmettre. J’accorde beaucoup d’importance à l’apprentissage et aux apprentis.
Article paru le vendredi 25 avril 2014 – courrier cauchois

 

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